Un jeudi d’hiver, alors que je venais d’avaler de travers, après l’adoption par l’Assemblée Nationale du texte bancal de la proposition de loi qui –je cite- vise à lutter contre la prostitution, je décidai d’enfiler mes jambières et mon cache-misère, mes talons aiguilles comme d’ordinaire chaussés à mon pied, et d’aller rendre visite, rue Saint-Denis, aux experts de la bite afin de m’entretenir à ce sujet avec ces derniers.
Sans grand étonnement, les propriétaires de sex-shop, prudents et patelins, m’ont assuré « ah nous? Nous ne sommes pas vraiment concernés… » Ah oui? Et la fille qui est planquée derrière le rideau, elle est là en déco’?
Bref, je sortis de « Royaume Kiki » et repris mon chemin jusqu’à rencontrer lesdites prostituées. Je dois préciser que j’étais alors accompagnée, craignant un peu de me cogner aux réactions énervées voire au danger… Préjugé, conséquence de mon ignorance du suspect! J’y ai coudoyé des femmes sublimes et bien plus magnanimes que les légitimes! Chacune s’est laissée aller à me conter un petit bout de son histoire, aucune n’a manqué de m’émouvoir.
A l’issue des entrevues, je suggérai aux filles de faire le récit de leur vie… devant caméra. Le ton changea! J’entendais bien que les filles de joie ont aussi le droit de préserver leur famille, mais j’étais obsédée par ma volonté de crier à Najat Vallaud Belckacem combien son projet est extrême et tranche trop vite le dilemme sans considérer l’hétérogénéité des réalités. Et je n’allais pas tarder à ratifier mon présupposé.
Au crépuscule, je m’apprête à regagner mon véhicule… J’emprunte la rue Blondel et je bouscule la dernière bagasse de la place. Qu’est-ce qu’elle est belle! Un mètre quatre vingt, un corps de mannequin, des traits aussi finement dessinés que ses pensées et sa subtilité semblaient aiguisées, un sourire de sainte, une femme des rues oui… mais loin d’être de petite vertu; elle avait de l’or dans les mains, elle était à elle seule un empire et elle était là, glissée dans le linceul d’une marie-couche-toi-là, avec pour couverture de ses ébats, son hallucinante fourrure.
Je m’approchai à petits pas de cette dame aussi fascinante que troublante à l’étude de mon éducation et de mes viles certitudes : bien sûr, son quotidien m’inspirait le mélodrame et sa destinée la fatalité.
Sans surprise, la première question que je lui adressai :
– « Sous l’emprise de qui es-tu pour avoir fait du trottoir ton territoire? »
Avec beaucoup de délicatesse, elle répondit à ma maladresse :
– « Ma chérie, je suis une tradi’ moi, personne ne me contraint! »
– « Pourquoi tu n’es pas serveuse, vendeuse ou encore comédienne avec ton minois? » Persévérai-je.
– « Mais ma chérie, tu sais combien je ramasse en tant que péripatéticienne? Ici, c’est vingt mille par mois, je ne suis pas une chienne, je ne travaille pas pour deux mille moi!
Il ne faut pas que tu te tracasses, il n’y a jamais de violence de notre côté du pavé, on se débraille en toute tranquillité, nos clients sont des habitués. Tu veux que quelqu’un t’explique tout ça devant ton machin-là? Donne-moi ton numéro de téléphone, je le remets à notre porte-parole qui va se faire un plaisir de t’appeler, elle en raffole! »
Je rentre au bercail, les idées en pagaille. Mais c’est vraiment un métier être prostituée? Grande nouveauté pour ma cervelle de bourgeoise arriérée! Je pris le parti de balancer tous mes préjugés sur ladies très courtoises à la poubelle -quoi qu’on en dise- et de parfaire mon expertise.
Mon compère, qui avait quelques précisions à m’apporter sur l’affaire, se proposa de m’escorter afin que je puisse poursuivre mes investigations et le lendemain, au coucher du soleil, nous nous rendîmes dans les abîmes, du tristement pérenne Bois de Vincennes… Quel ardent réveil!
– « Vous parlez français? » Je les accostai plus prudemment que la veille…
– « Non, je ne parle pas le français. »
– « Ca va être chaud » -m’asserta mon alter ego- « elles sont méfiantes et pas des plus chouchoutantes »
– « Eh ma belle! » m’interpella l’une d’elle « tout le monde ici comprend ce que tu dis, mais elles ont toutes peur de leur protecteur, elles ne se confieront pas, crois-moi. »
– « Et toi? »
– « Moi » -poursuit-elle- « non, je… je ne sais pas… »
Je sentais qu’elle était prête à céder quand débarqua la co-propriétaire de son camion-la misère… Cette dernière négocia avec moi un petit billet pour s’exprimer puis une fois l’argent dans le vêtement, passa le relais à l’autre fille de joie… enfin de joie… Elle me confia que là, devant moi, toutes étaient nigérianes et que ce qu’elles redoutent, plus encore que leurs lianes qui certes les révulsent -quitte à ce qu’elles se damnent- c’est qu’on les expulse et les condamne, elle et les siens, à dormir dehors ou à mourir de faim. En effet, tout ce qu’elles gagnaient, m’apprit-elle, elles l’envoyaient au Nigeria.
Quelques lampions plus loin, dans un autre camion, j’aperçois une Black Panther, gamine mais divine femme-galante, qui me sérine le même discours, à ceci près que de son côté les trente Euros de « la pipe et l’amour », elle les remet en intégralité à son maquereau, qui n’est autre qu’une mama, scandaleusement exigeante. Et quand il lui reste un excédent, chuchota-t-elle, c’est à peine suffisant pour se mettre quelque chose sous la dent. J’en ai le cœur soulevé et je leur demande alors ce qui leur faudrait pour se relever. « Des papiers » me répondent-elles en chœur… No comment!
Dimanche, Gaby m’appelle, elle est la voix des belles-de-nuit et entre deux manches, souhaite partager avec moi son sentiment sur cette vilaine loi! Chouette !
Lundi, donc, je me rends à son appartement et je monte camera au poing pour comprendre les raisons de son choix. Elle n’a pas honte, elle me raconte même qu’elle a tenté de se diriger vers ce qu’elle nomme « la normalité » mais qu’elle l’assomme, elle se plait à être celle qui console l’homme esseulé ou mal-aimé, elle est leur psy et leur amie bien plus souvent qu’elle n’est leur catin ou leur putain! Et quand je me risque à aborder l’amende qui punira ses futurs clients, si la proposition de loi est adoptée par le Sénat, en lui suggérant de désormais annoncer ses prix ainsi : « 50 + 1500 Euros, amende comprise » elle a l’humour et l’esprit de répondre à ma sottise par un éclat de rire et toujours avec le sourire me livre son effroi face à l’incohérence de cette loi, qui supprime le délit de racolage passif, ôtant le caractère prohibitif à leur activité, leur offrant une parfaite légalité pour pénalement dissuader les consommateurs d’orgasme. Quel marasme! Et ce sont elles que l’on appelle femmes légères? A la bonne heure!
Sans oublier le frustré, en manque de lubricité et de sexualité, désormais effrayé qui –oui je sais c’est cliché- mais ne pouvant solliciter les services de sa traînée bien-aimée sans se hasarder à recevoir un coup de bâton, va préférer y sursoir pour enfoncer le sien (de bâton) dans la première infortunée qui traversera le square… Et Madame est Ministre de nos intérêts… Eh ben!
Voilà, au moins un phrasé censé de Madonna : « le sexe, Madame la Ministre, ce n’est jamais sale que quand on ne se lave pas. »
Ah, j’allais oublier… Gaby me confessa une dernière chose…
– « Allez si, j’ose! Nous serons sauvées, oui je vous promets, par les personnages publiques, stars et autres politiques, qui aiment tellement la nique, qu’ils viendront éternellement, casque de moto vissé sur le ciboulot, faire leur excursion-pénétration. »
Et vous me demandez ce que j’en pense? Eh ben, on est mal barrés!