Mon ami et moi nous étions donnés rendez-vous aux aurores afin d’éviter l’engorgement signalé par notre cher Ministre des Transports. Déplorable copilote, pas le temps de réciter une fable que je m’étais malencontreusement endormie… quand, soudain, pas si loin, après à peine trois heures de sommeil, je sursaute : « Sors du véhicule, mets bien les mains en évidence, avance, recule! ». Qui me réveille? J’apercevais à travers les vitres teintées, depuis les sièges arrière où je m’étais installée pour mieux rêver, pas moins de six agents de la police des frontières, faisant barrage, utilisant un langage quelque peu familier, pistolets braqués sur mon compère et qui ne semblaient pas réellement être en train de plaisanter!
A cet instant, aucun d’entre eux ne m’avait remarquée à travers le double vitrage fumé… Je vous fais là une révélation inquiétante! S’il y avait bien eu danger ou que j’avais été armée, que se serait-il passé? Enfin, j’avais des informations plus pressantes à traiter :
– Mon ami a-t-il quelque chose à se reprocher? Impossible, je le connais depuis tant d’années.
– Dois-je pointer mon nez au risque de provoquer l’affolement ou attendre patiemment? Donnée sensible.
Je décidai de passer ma tête, doucement… prudemment… par-dessus l’accoudoir du siège avant, afin que ces messieurs puissent me voir… Le premier qui devina ma silhouette, à travers la fenêtre avant gauche, conclut rapidement qu’ils étaient en train de commettre une bavure : a priori, je n’avais pas une allure à faire grimper le trouillomètre. Ils baissèrent donc leurs revolvers et après avoir furtivement inspecté la voiture, ils nous sommèrent de nous ranger sur le côté et d’attendre leur feu vert. Ils ne nous donnèrent aucune explication! A tel point qu’il nous fallut insister pour nous entendre assurer que nous leur avions été signalés comme étant des « gofasteurs », soit de dangereux trafiquants important des produits stupéfiants… Et ce sans même que nous n’ayions commis un seul excès de vitesse… A la bonne heure! Il me paraît plutôt que le mois d’août les avait plongés dans une tristesse proche de la détresse et que pour ne pas que ses seconds s’encroûtent, le chef de section leur avait proposé un entrainement destiné à chasser l’engourdissement.
A Uzès, je m’installe au Richelieu : une dame d’une gentillesse prodigieuse et quasi-contagieuse me dévoile les lieux. Yannick, aux origines flamandes, au physique peu banal et qui ferait presque de la contre-propagande à la délocalisation fiscale, s’est évadée de sa Belgique natale pour ériger sa forteresse autour d’anciens vestiges de l’époque romaine. La demeure, d’inspiration maçonnique, se situe au cœur de la ville historique. En traversant le Moyen-âge, la Renaissance, la Révolution, le pouvoir des Evêques et la Réforme, chaque ruelle semble conter aux passants…tout un roman! Deci delà, endroit après endroit, c’est comme si l’architecture était enchantée : figurez-vous que chaque mur m’a murmuré un secret… Uzès, la cité aux pouvoirs temporels et aux charmes intemporels, dont le mariage stylistique offre un voyage unique, mérite qu’on la caresse et qu’on lui dédie une poésie épique ou un titre d’Altesse.
Direction Carpentras! Avant de continuer mon trajet, je compte m’arrêter, symboliquement, dire une prière devant la tombe jadis profanée par quelques néonazis. Les faits m’avaient évidemment touchée et d’autant plus marquée que ces pervers illuminés avaient agi un 9 mai, jour de mon anniversaire. « Excusez-moi, je cherche le cimetière juif? » « Excusez-moi, le cimetière juif s’il vous plait? » « Pouvez-vous m’indiquer le cimetière juif je vous prie? » Ah non, la tournure de phrase n’a jamais rien changé… Non pas que personne ne soit informé… Mais… A croire qu’à Carpentras, le temps s’est figé! Un jeune musulman en habit traditionnel et en plein ramadan, par quarante degrés en pleine journée, attentif à ma requête spirituelle, eut la bienveillance de prendre le temps de m’aiguiller et je réalisai mon souhait.
Avez-vous déjà goûté une cuissette? Je ne vous livre pas la recette, empruntez quelques sentiers qui mènent à Vaison la Romaine, la sinuosité vaut le crochet.
Me voilà conquise par les Beaumes de Venise! La jeune femme qui entretient ladite Maison des Remparts, le fait fort bien.
Mais déjà je repars pour l’Isle sur la Sorgue. Un petit tour au marché des antiquaires, mais je suis fatiguée, épuisée, à terre! Demi-tour! Dans la prochaine maison d’hôte où je suis attendue, la Bastide Rose, il faut que je me repose! Quelle mauvaise surprise! Je ne ferai pas la reprise de mon billet « la Bastide Rose, théâtre d’une marâtre », on va dire que je fanatise ou pire que j’ironise ou encore on va vouloir m’abattre.
Je m’enfuis alors en avance vers Saint Rémi de Provence qui est digne de son affluence et je trépigne d’impatience de connaître Cucuron, non pas pour son nom – et je vous interdis de souffler qu’il me va comme un gant- mais pour son renom et pour être le voisin de Lourmarin, ravissant patelin.
Mon circuit s’acheva ainsi et je me rendis à Saint-Tropez pour son allure et sa belle nature… Non, je vous fais marcher… Mais cette partie-là est classée confidentielle.
A bientôt…