Je rêvais d’être une actrice, une de celles qui sont éternellement belles, de celles qui sont immortelles, celles dont on accepte les caprices… Oui j’en rêvais, mais une fois le compte fait, j’ai vite été désenchantée!
Jeudi dernier, je rejoignais pour le café, dans un restaurant branché à la parisienne, un ami qui achevait un diner, escorté par une beauté, la quarantaine entamée, sans pour autant qu’on ne l’y ait accompagnée. Abrégeant l’élégance un peu plus qu’il ne le faut, elle repoussait ses chances… pourtant en pleine quintessence.
Comme ces femmes un peu désemparées qui se livrent trop, trop tôt, avec empressement mais sans cupidité, juste avec ingénuité, espérant rentrer rassurée, elle se mit à se raconter. En substance, cantonnée à des rôles d’une légère importance dans quelques séries télévisées, cette femme que la moitié du pays ignorait -la moitié qu’elle guignait- cette femme l’avait en travers! Elle qui à ses débuts souhaitait figurer parmi les demoiselles en vue -celles que l’on appelle « les grandes dames du septième art »- était devenue la prisonnière de ses premières apparitions, loin du cinéma qui la boudait et le moment de la désillusion était arrivé : il était déjà trop tard…
Elle se mit donc à faire le récit de sa vie. Une vie? Un calvaire… Autant de castings foirés que de brushings sans effet, puis un lifting sans utilité, des matchs au cours desquels on l’aura poussée jusqu’à ce qu’elle déclare forfait. Enfin, comme une pro du catch, toute une existence sur un ring, tout ça pour un espoir : la gloire… en vain…alors sa simple subsistance, et encore… jusqu’à ce que l’ivresse, non plutôt la détresse la presse d’ôter son string… tout ça… pour rien!
Femme regardée, femme désirée? Mais au prix de quelle liberté? Cette femme qui rêvait d’être convoitise était devenue marchandise, enchaînée à son image, et pour ceux qui l’adulaient elle n’était jamais plus qu’un mirage… A mesure des années, son mariage, dernier bastion de sa vertu, de ce qui lui restait de pur, avait cédé face à la sévérité des orages qui avaient grondé au-dessus de son aura étouffée. Et la voilà esseulée à se dévisager dans la glace, finissant par y mirer un histrion plus qu’une fille épanouie et en pleine consécration.
Et ce n’est pas fini! La beauté qui clamait sans modestie qu’on lui avait préféré Alice Taglioni, jouant les pudibondes tout en se hissant à son égal en la qualifiant de « rivale », affirmait qu’elle n’échappait pas pour autant aux commérages d’usage : finalement « la blonde est banale! » médisait-elle. En réalité, vous l’avez deviné, c’est bien l’indifférence qui lui était fatale.
Une comédienne peut habiter mille corps, s’émanciper au milieu de mille décors au cours de son existence et oublier la sienne jusqu’à sa propre naissance! A défaut qu’elle ne s’appartienne, elle est l’objet d’un metteur en scène, la propriété du public qui la rassérène, l’apanage de ses personnages. Elle se contemple de l’extérieur jusqu’à ce que sonne son heure! Oui, le hic c’est que dans ce cas, à l’instant où elle tirera sa révérence… elle passera soudainement de l’abondance à la déchéance, de l’effervescence à la déliquescence puis… doucement… va s’ensevelir jusqu’à en périr.
Et si Ethel Barrymore n’avait pas eu tort? Pour réussir, il eut fallu qu’elle ait « le visage de Vénus, le cerveau de Minerve, la silhouette de Junon et la peau d’un rhinocéros »… ce n’était pas gagné! Et ce n’est pas pour m’exprimer avec une certaine verve que je vise en particulier le cerveau de Minerve…
Alors mes rêves, s’il vous plait, prenez la relève, emmenez-moi sur les planches, sans jeu de hanches, ma prose pour servir des causes bien fondées, mon éphémère renommée pour tenir mon porte-voix, car nos rêves, ceux qui nous portent sans trêve, voilà ce en quoi je crois.