Je me suis toujours demandée d’où provenait cette nécessité de l’atour, cette infinie pauvreté d’étiqueter l’ensemble des relations, des situations, des émotions, des accessions que nous tissions, vivions, souffrions ou dont nous nous flattons?
Ne sommes-nous admis à aimer que lorsque nous nous conformons à un mode, à un code social ou filial déterminé?
Quelle importance encore de savoir que celui-ci est votre meilleur ami ou votre compère pour quelques heures, tant qu’il est sincère… de prévoir que celle-ci finira dans votre lit ou a réussi à envahir votre esprit, tant que vous raffolez de sa présence, tant que vous l’adorez alors…?
Peut-être ne suis je pas tout à fait sensée, mais je ne suis que rarement parvenue à dire pourquoi et comment j’aimais les présents!
Suis-je malsaine ou simplement humaine?
Bien sûr, je reconnaissais la caresse affective, parfois aussi la tendresse excessive qui naissaient en moi!
Souvent, j’en prenais la mesure! Et pourtant, -homme ou femme- je me risquais à les aimer pour l’éternité, quelle qu’eut été la nature de la flamme, quelle qu’eut été la somme des liens que nous avions noués.
Oui, comportement freudien s’il en est, où la réalité psychique et authentique prend le relais de l’objectivité pratique!
En moi, se disputent le principe d’exclusivité et celui d’universalité, discutent le joug de l’esprit et la vigueur du coeur, en moi se joue une lutte entre loup et brebis…
Suis-je Bouddhiste? Apparemment non!
Suis-je dangereuse? Certainement à mon endroit!
Suis-je malheureuse? Probablement, mais au moins ai-je donné le ton de ces instants, heureuse!
Récemment, j’ai senti la peine d’être avisée du décès du papa d’un ami, un Monsieur d’une infinie générosité et d’une si jolie bonté.
Ce Monsieur savait sourire, rire, bénir! Il savait flatter sincèrement, chaleureusement et offrait un peu de lui à chacun croisant son chemin.
Ce bon homme semblait savoir aimer son prochain, sans rien en escompter, sans vaines louanges, simplement avec le coeur, de l’intérieur!
Qu’avait ce Monsieur de si particulier dont notre société manquerait?
Vous l’avez deviné, de l’authenticité!
Cet homme croyait sûrement en Dieu de la bonne façon… ou alors c’était un ange, qui sait?,)
Balance ton porc! Mais quelle idée!
Tu veux vraiment le balancer? Alors cours porter plainte si franchement il y a juste sujet!
Dans le cas contraire et à défaut d’un fondement juridique recevable, comment penser que ces innombrables accusations aux contours d’infamie publique ne seraient pas iniques?
Nous assistons sous nos yeux, impuissant, à la transformation d’un mouvement de sincères dénonciations en d’abondants procès d’intentions vengeurs, ignominieux et déshonorants!
Un homme de ma connaissance, l’antithèse de l’homme sexiste, s’est trouvé piégé dans la spirale de la calomnie, une parenthèse malheureusement virale.
Une journaliste échaudée dans ses espérances professionnelles quelques années plus tôt -et de toute évidence à l’affût- l’a soudain pris à partie sur les réseaux sociaux pour avoir -dit-elle- eu le culot de lui faire des avances avec inélégance!
Je l’ai soutenu -mon ami- dès que j’ai su! Je n’ai pu qu’attester de son profond respect à mon égard : je lui plaisais et pourtant jamais un regard n’avait été appuyé ni une parole déplacée prononcée!
Je n’imaginais alors pas encore ce que cette étiquette subitement collée sur son front allait entrainer comme fâcheux retentissements!
Plus tard, je le rencontrerai autour d’un café et je réaliserai combien il en souffrait : une femme et des copains déserteurs, des contrats retirés, des honneurs rappelés, des enfants acculés…
Mais cet homme méritait-il pour un mot de trop le traitement médiatique de ses emportements?
Comment qualifier donc ce qui relève du comportement de l’importun ou de celui du taquin?
Qui en a qualité si ce n’est la justice?
Qui peut se targuer de détenir ou de tenir entre ses mains le juste curseur de l’état d’atteinte à l’intimité, à l’intégrité? Qui peut se prêter de la dignité lorsqu’il incrimine à l’aune de son seul sentiment de culpabilité inversée?
Cette campagne génère indûment tant d’excès, d’abus, un moyen en somme de combler certaines frustrations ou d’amalgamer l’immondice publique avec la gêne, la rancoeur ou toute autre question d’honneur d’ordre privé.
Tu ne mérites pas ça et je témoigne de ma personne ton immense respect envers tes amies femmes et celles qui n’ont même cette qualité.
Ainsi donc illustré, le danger d’étiqueter!
Et ce n’est pas parce que je m’élève contre ce simulacre de guerre sainte, contre ces oracles bien-pensants de la complainte, que je ne me soulève plus face à ces cochons machistes ni que me voici devenue anti-féministe; et que trépasse par l’effet de mon propre glaive si ma raison faiblit!
Bien sûr, je sais pertinemment quelle importance les dames attachent à l’étiquette, le prix y est inscrit! Ne me blâmez pas, ce n’est que de l’auto dérision…
Voici donc ce que profondément j’adjure au risque de faire tâche: et si au lieu de classifications, l’on décidait de préférer ausculter les âmes!
Franchement, est-il bien sérieux, passés nos vingt ans, de continuer à penser qu’il existe les « comme-ci » et les « comme ça », de presser ainsi les gens dans des catégories lorsque nous habitons un monde à la réalité vagabonde?
L’étiquette est génératrice, au moins incitatrice d’endogamie sociale, politique et sociologique, vecteur ou au moins facteur d’inceste rarement physique, trop souvent psychique!
Pour mieux vivre un jour, il faut être soucieux d’éthique!
Pour aimer toujours, il faut être libre, il faut donner volontiers de son coeur chez qui vibrent de jolies valeurs…
Voilà ce que je m’applique ici à vous démontrer!
Tous, nous grandissons habités de la plus belle des croyances originelles : celle d’aimer!
Oui, nous aimons nos parents dans un premier temps, dans le prisme de notre dépendance à leur égard, Dieu dans un second temps, ou en cas d’athéisme le regard disciplinant de notre conscience!
Mais pourquoi à l’âge adulte continuons-nous à nous observer à la loupe de nos confessions et adhésions au risque de l’exclusion ou pire de l’extermination?
L’humain a constamment besoin d’une mythologie pour l’accompagner, c’est sordide et pourtant limpide!
Remplaçons -pour voir- un culte par une autre entourloupe: imaginez une collectivité de quartier offrant accès à volonté à tous les gamins âgés de 13 à 20 ans avec Coca cola pour boire et trois gars pour trente nanas, pensez-vous qu’élire la vie comme théogonie leur semblerait alors inadapté?
« Niquer, stade ultime de spiritualité » estime-t-on soudain!
Pour extrapoler, l’étiquette n’est-elle pas l’instrument par excellence de persuasion, de fascisation du fanatisme?
Le totalitarisme par le spectre du langage réthorique et frénétique gratte la corde sensible, comme un plectre contre une guitare électrique en élisant l’infaillible, en démettant le nuisible, en prévoyant une disqualification de naissance!
Josef Mengele, son eugénisme odieux empreint des pires cruautés, de la gémellité forcée à la coupe des unités considérées comme affectées, en est le monstrueux témoin!
Hitler le premier, chétif et résolument brun, parvient à cacher cette dense évidence en asseyant l’ensemble de son système sur l’objectif suprême : l’Übermensch, sorte de super héros blond comme les blés, yeux bleus, costaud, puissant, résistant, indestructible…
Hitler manipule le sens paradoxal de l’être humain, il vient à bout de la plus triviale des flagrances par le biais d’allocutions ficelées et structurées!
« La parole s’adresse à nous, visant notre être, elle nous appelle, nous fait entrer dans l’être et nous y tient. » Heidegger.
Pour toucher par le verbe, il suffit d’épeler un être par ce qu’il recèle de spécifique : de ses caractéristiques individuelles jusqu’à ces banalités extérieures! Voici ce qu’Hitler exploite, il exacerbe le basique, afin que tous convoitent leur superbe!
Pour posséder, il faut nommer, il faut étiqueter!
Pour utiliser un paradigme relevant de l’intimité, prête à ta dulcinée tous les sobriquets qui te siéront mais si lors d’un instant d’une ultime tendresse, tu sais la nommer en prononçant -perceptiblement, sensible que tu paraitras et suavement si possible- son prénom, tu l’affrètes directement au paradis, tant elle se sentira concernée et incarnée!
Hitler a su donc nommer et apostiller du tampon qualité!
Etait-il un érudit en psychologie ou un instinctif de génie?
Sans doute un érudit en instinct, celui de Thanatos, celui qui exauce les souhaits du trépas!
Il est si difficile de déceler les subtilités de l’instinct : la psychanalyse s’y efforce avec tâtonnements tant sur lui rien n’a d’emprise!
Hitler n’a pas tenu à théoriser son instinct seulement à l’habiller.
Décortiquer le fanatisme -à l’instar du complotisme- c’est tenter de le vêtir des habits de la rationalité.
Or la sémantique ne suffit jamais à déconstruire l’instinct. Car étiqueter ne peut être le remède à étiqueter, sous peine de se trouver désemparé!
Se penser totalité rend dément, se penser achevé ou académie de la juste idée rend limité, borné et insensé!
N’est-ce pas aussi un acte de mini barbarie?
Bien sûr qu’il s’agit ici d’une forme de xénophobie, un pacte entre nous et nous pour n’avoir jamais à se confronter!
Risquer l’avenir, l’altérité, c’est risquer de perdre tout ce qu’on avait soigneusement amassé pour se conforter dans ses certitudes : ses habitudes, ses interdictions et ses permissions, ses petits arrangements avec soi, avec sa foi, ses perversions et ses transgressions. C’est risquer de voir le masque tomber, sans assurance d’être un tout petit peu protégé.
Pis encore, dans notre système de croyances, l’expérience n’est plus que phénoménologie, une sorte de « je ne crois que ce que je vois », limites de nos consciences.
Bienvenue dans notre civilisation autocentrée aux mirages sincères et donc invétérés, aussi dommageables qu’incurables, une société où l’on récuse la valeur de l’autre en ce qu’il diffère de notre propre étiquette, de nos propres usages.
Nous avons peur de nous-mêmes, nous sommes pétrifiés par notre propre liberté, nos propres libertés, et pourtant nous nous efforçons paradoxalement et constamment de retrouver ce qui a fait de nous des êtres vivants!
« Raconte-moi le monde » -requiert l’enfant- « tu n’as pas le droit de menacer mon esprit en m’imposant tes convictions, sans quoi, un jour, faute d’amour, c’est par la guerre que j’explorerai! »
Comprenez, il n’est nul effet que d’employer toutes ses dispositions au profit d’une collectivité ou d’une communauté sans l’accomplissement d’un devoir d’attention constant envers le singulier!
Trop souvent sommes-nous obsédés par notre identité, nos emprises deviennent nos hantises les plus coriaces, les plus opiniâtres!
Se souvenir, c’est s’oublier!
Se référer souvent -au présent- à sa confession, ses convictions, son éducation, ses liens et les siens, les espérer indubitables, indiscutables, c’est renoncer à s’explorer, à s’exposer, à l’inespéré…
Le théâtre de nos désirs devient un espace si restreint qu’il n’est plus même d’envies ni de vie!
Plus de fulgurance, d’effervescence, d’urgence, d’espérances, plus de vertige, de litiges vivifiants, plus de caresses ni de tendresse, plus d’émois, de joie sincère et légère, plus de passion, de dépression comme corollaire , plus de chagrin inutile, d’attentes infertiles, plus d’étrangeté, de fragilité, plus de mélancolie, plus de cris, plus de vie…
Depuis tout ce temps, il n’a été d’autres échos que son ego, un ego qui s’auto-acclame et s’auto-proclame, un ego tronqué, falsifié, à l’histoire trafiquée par sa mémoire, la souvenance de fausses réminiscences, la reconnaissance de sentiments, de boniments, l’adulation de référents, leurs photographies écrasant indignement famille et amis!
Zev Sternell prétend que « La Révolution est héritière des Lumières! »
Pourquoi ? Car en dépit de l’universalisme humaniste et idéaliste, ou peut-être par son fait, était réfutée toute forme de communautarisme au profit du particularisme.
Je n’adhère pas au mouvement tout entier mais à ce qu’il a offert de penser sa propre personnalité…
Je ne m’en cacherai pas, moi aussi j’ai mes étiquettes, mes loyautés chimériques, mes « parfaits » utopiques, mes réverbérations en boucles, mes visions escarboucles!
Pourtant je sais, je sais bien qu’il va falloir lui dire au revoir à mon monde illusoire, mon monde magique d’intimations destinées à l’évitement de mes déceptions!
Est-ce sans violence? Certainement que non, mais y a-t-il plus violent que l’absence de liberté car que reste-t-il alors d’humanité?
Ode à l’altérité…