« Moi aussi j’avais oublié que les suisses pouvaient me surprendre… Sur ce coup, ils ont plutôt assuré, même si, pour ne pas choquer, j’aurais été un peu plus tendre! Il faut dire que fin février, le parachute doré de soixante-douze millions de francs suisses que le conseil d’administration du groupe Novartis avait prévu pour son futur ex-président, Daniel Vasella, avait soulevé un véritable tollé! C’est mal passé! »
« Je ne suis pas sûre d’être pour, je pense que les privilèges sont essentiels pour faire fonctionner une holding sans dumping. Il faut des dirigeants, DG et autres PD, avec des âmes de dirigeants et la carotte y concourt. Assurément, dans un pays en crise comme le mien, parachute doré peut scandaliser, mais l’ami, chez toi… franchement c’est faire preuve d’ironie! Reconnais que la singularité de l’adoption d’un comportement socialiste face à cette question est surprenante, renversante même, quand on connaît la réticence largement partagée à amender le modèle social. Selon vous carrément, les vacances empêchent de travailler en paix! Tellement, qu’il y a tout juste un an, vous avez refusé la sixième semaine de congés payés que le gouvernement vous offrait, c’est marrant, là aussi à soixante-sept pour cent! La Suisse ne sait que faire de son excédent budgétaire et les entreprises ne sont pas vraiment dans la mouise, alors qu’importe si l’institution remplit sa fonction. Enfin, voyons comment les députés vont consacrer le plébiscite fortuit. »
« C’est ça qui me plaît! Le Parlement en discute depuis cinq années, sans avoir réussi à avancer…d’où le vote de cette initiative, qui sera probablement promulgué d’ici la fin de la prochaine année par la branche exécutive. Mine de rien, les suisses sont aussi indignés que les autres par la cupidité excessive, d’autant plus qu’elle dessert tout le monde: le marché en général, les entreprises qui se saignent en rémunération de leur direction, sans aucune corrélation avec les résultats et surtout les actionnaires… Après tout, le mécanisme proposé est on ne peut plus juste: un meilleur mode de sélection des administrateurs, négocie ton enveloppe avec tes actionnaires! <There’s no such thing as a free lunch!> Et n’oublie pas qu’il ne s’agit pour l’instant que des sociétés cotées, qui sont déjà soumises à un tas de régulations spécifiques. Non vraiment, je ne vois pas d’argument pour que l’on abdique ou même que l’on soit sceptique! »
« Qu’est-ce que tu penses alors de cette période de bouleversements, elle ne te fait pas peur? »
« Peur comme dans un rollercoaster : c’est dangereux, plein de sensations fortes et d’une excitation qui repose en partie sur le fait qu’on ne sait pas si et comment on va s’en sortir… Bref, <it’s what you make of it, a time of opportunities!> Le conservatisme a un effet positif lorsqu’il protège les valeurs, les vraies, mais délétère quand il veut sauvegarder les usages et les rentes du passé. »
« Mais attends, attends, tu ne penses pas que c’est un vaste théâtre d’hypocrisie? Il existe de nombreux autres moyens d’allouer toute sorte d’indemnités, contournement garanti! En voilà un échantillon: offrir au dirigeant que l’on souhaite faire entrer dans la société, d’acheter une partie en actions à hauteur d’un pourcentage déterminé qu’il pourra liquider lorsqu’il en aura terminé. Une autre manipulation: à l’entrée on lui accorde des stocks options, options d’achats (dites call) et de ventes (dites put), pour une valeur x qu’il estime à date arrêtée, il s’engage à acheter ou à vendre les supports déterminés (actions, obligations…) à un prix et à une échéance déjà fixés, pour jouer d’une hausse dans le premier cas, d’une baisse dans le second événement, de l’actif sous-jacent, avec interdiction de transaction pendant la période de détention . Il s’agit d’un pari, dit principe du «call and put», qui permet bien évidemment, à ses experts en la matière, de se voir attribuer une prime à la sortie… La seule pression repose alors sur le patron, qui devra employer avec plus d’adresse, celui qu’il ne pourra renvoyer d’un simple coup de pied aux fesses… »
« Le fait que les règles seront outrepassées par les espiègles est potentiellement vrai pour toutes les règles au final (ne pas tuer) ça ne réduit en rien leur nécessité pour un meilleur fonctionnement social! »
« Permets-moi s’il-te-plaît de continuer ma démonstration prétoriale! Jusqu’en 2010, les BVI (British Virgin Islands) permettaient d’avoir des actions nominatives au porteur, puis fini! Je te le donne en mille, nombre de parades ont été imaginées et utilisées: vous ne voulez pas apparaître, faites détenir votre société par un directeur nominé ou par exemple par une société panaméenne elle-même au porteur, ils détiendront les actions pour vous avec un contrôle encore moins accru de l’ensemble de l’actionnariat, du chef d’entreprise ou encore du gouvernement. La loi ne te dit même pas qu’il faut un passeport d’une personne physique qui se déclare bénéficiaire économique. Autrement dit l ‘ami, on décale d’un cran le problème, qui lui est encore plus en éveil… Pour chaque maladie, il y a toujours un antidote… »
« Oui et en l’occurrence, la maladie c’est l’excès de goinfrerie, l’antidote c’est la tempérance; tempérance qui est justement l’objectif de ces mesures de restriction des aberrances, des complaisances… Et ce, sans enfreindre la liberté, ni des dirigeants ni des sociétés. Elles rendent le comportement mis en cause plus compliqué, plus cher, plus risqué, en réduisent l’attrait »
« Je crois qu’interdis et tu suscites l’envie, inspire le délit et rends attrayant le produit; autorise et tu banalises donc évites les plus graves dérives. En tout cas, pour une fois, les suisses se mouillent, sur le plan économique certes, mais ça a de réelles répercussions politiques. En effet, Jean-Marc Ayrault a salué l’interdiction des parachutes dorés et fait de la Suisse un véritable héros. On voit même s’esquisser une véritable avancée, comme si la Suisse était le précurseur d’un nouveau vecteur: celui de la transparence. Ainsi, La Commission européenne a dit avoir pris acte de l’avis, qualifié d’important et un accord de principe a même été trouvé, la semaine dernière, entre le Parlement européen et la présidence irlandaise de l’Union Européenne, sur la mise en œuvre du nouveau cadre réglementaire du secteur bancaire, dit Bâle III, qui va aller plus loin que prévu en ce qui concerne la rémunération des banquiers. Parmi les vingt-sept Etats membres, seul le Royaume Uni y est opposé, mais il ne requiert même pas l’unanimité, la majorité qualifiée suffit. Alors tu vois, au moins, voilà, ce dimanche 3 mars, les suisses se sont évadés de leur neutralité si souvent raillée, félicitons-les et bonne journée! »