C’est l’histoire de deux personnes que l’existence et les espérances, le passé et les souhaits, les désirs et le devenir opposaient diamétralement, formellement, insolemment… Pourtant -en dépit des apparences- ces deux personnes prédisposées à se détester allaient passer, dans le secret, leur vie à s’aimer… Elles s’aimeraient tant, que dans le miroir, c’est l’autre que chacune finirait par deviner, c’est l’autre qu’elle regarderait, c’est l’autre qu’il corrigerait.
Une symbiose, une parfaite osmose, voilà comment caractériser leur pérenne attachement et bien que le bruit de leurs chaînes résonnent à la manière d’une rengaine, jamais aucun n’ose.
Est-ce triste? Oui, un peu… Oui mais à la fois pragmatique, puis unique et en même temps savoureux, comme pour tous amoureux qui se résistent. Ils savent bien eux, qu’une vie à deux briserait leurs bracelets… et c’est loin… c’était loin d’être ce qu’ils voulaient.
Lui, avait grandi seul et sa vie ne lui avait tendu qu’un linceul pour faire office de couverture. Alors, il lui fallut cogner dur pour exister; sans amour –tant pis- au moins il respirait.
Elle, petite fille choyée et encouragée, aujourd’hui a priori femme accomplie, était en fait un guerrier de l’ombre, tant elle résistait à tomber dans la conformité, tant elle se battait pour ne dépendre de quiconque ni ne se rendre quelconque; comme si elle avait vécu l’expérience… ou non, comme si elle était habitée par la conscience de son bien-aimé, comme si elle essayait de rassembler les décombres de ce dernier.
Elle embourgeoisée, lui inapprivoisé; elle éloquence, lui silence; lui encaissant, elle touchante; lui poignant, elle bouleversante; mais ensemble les voici aussi irascibles qu’invincibles si bien que tout le monde en tremble.
Ils s’étaient rencontrés un soir de février et à cet instant, leur destin commun venait d’être scellé. Il se souvient encore de ce qu’elle portait, de son regard puissant…transperçant! Immédiatement, il essaya de souffler sur la flamme, trop inquiet qu’il était d’y laisser sa liberté. Mais il était trop tard, elle avait déjà pénétré en son âme et il était plus épris de son élégance que de sa propre indépendance!
Ils décidèrent de se voir trois fois par semaine et c’est ce qu’ils firent, sans faillir, pendant deux années entières. Ils se connaissaient par cœur, se décryptaient sans peur, s’entraidaient à toute heure!
Jusqu’au jour où, au détour d’une promenade nocturne dans des sentiers malfamés, ils s’embrassèrent… C’était comme si leurs lèvres venaient de tenir une interminable grève; ils ressemblaient à deux soldats, en trêve, au crépuscule d’une effroyable guerre. D’habitude taciturne, il achevait la ballade en lui susurrant « Pour toi, je brûle, alors ne réfléchis pas, vis ce rêve avec moi! »
A cette seconde, aussi profonde qu’eut été sa quiétude, il venait de renoncer!
Pourquoi, me demanderez-vous? La réponse est quelque peu absconse.
D’abord, en raison de son vécu, du temps qui s’était écoulé, sans que jamais on ne lui donne ce qu’il attendait : juste une caresse, juste un peu de tendresse! Il s’était résolu à enterrer sa rancœur au fond d’un trou, mais son cœur avait glissé aussi et il avait choisi de l’y laisser, pour éviter qu’à nouveau il ne déguste. Après tout, pour lui, aimer n’avait jamais été que synonyme de souffrance et ce depuis sa naissance, alors une romance, c’était du délire! Pourtant, elle, elle aurait bien abandonné un empire pour son sourire.
Encore, parce qu’il était plus aisé pour lui de se priver de cette divine emprise plutôt que de la maitrise. Son admiration était à la fois si passionnelle et si rebelle que ce qui l’effrayait c’est ce qu’il découvrirait s’il s’apprenait. Elle était son étoile et elle était si belle… qu’il voulait à tout prix l’arracher à une désillusion éventuelle. Il lui semblait alors plus facile de poser un voile sur son idylle plutôt que de renoncer à l’idée infertile qu’il se faisait de lui-même.
Mais enfin, ne vous méprenez pas, ils continuèrent à se voir, à s’émouvoir. Ils ne purent y surseoir car qu’y a-t-il de plus insoutenable que de rejeter ce que l’on connait, ce que l’on ne peut oublier, tant on a aimé? Oh, tantôt il feignait l’indifférence, tantôt il était mal aimable, tantôt il cultivait même le pessimisme voire le nihilisme à son égard, mais il n’y pouvait rien, c’était l’accoutumance qui tenait sa barre.
Elle était tout pour lui : sa chance, son enfance, sa réjouissance, même ses longs silences et son essence. Elle était tout, mais jamais il ne se désarma, ni ne se débarrassa de sa satanée prudence!
Un soir, alors qu’un vent frais faisait voler les feuilles d’automne, elle le pria de bien vouloir venir la voir et ils se retrouvèrent sur les sentiers où pour la première fois ils s’étaient embrassés. Elle lui apprit en larmes qu’elle devait s’en aller… Oui, elle était soldat de l’armée française et était appelée à prendre les armes en Syrie, où la guerre venait d’éclater. Il sécha ses larmes en lui jurant qu’ils se reverraient et ils s’étreignirent comme la première fois.
A cet instant, tout paraissait s’être figé, tout avait disparu autour d’eux, toute la misère du monde s’était effacée, il ne restait qu’eux deux et leurs adieux.
A cet instant, il sut que jamais plus personne ne le ferait pleurer; à cet instant, il sut que désormais il se mourrait d’ennui et qu’il s’était exposé à la désirer ardemment pour la vie.
Elle était à jamais son éternité!
Très beau, très délicat, très inspiré : vous êtes un vrai écrivain.
Thierry Berlanda
Tres beau tu veux pas écrire la suite … C cruel de nous laisser comme ça 😉
Bises
Je vais m’y atteler ,)