Il était une fois une jeune et jolie dame oiselle, qui se dénommait Belle Colibrinsky.
Elle était très attachée à son identité. Toutefois, ses parents -craignant qu’elle ne fût chassée pour son caractère singulier, sa splendeur, son éminence et sa rareté- la firent appeler Belle Colibri.
Il faut dire qu’il était particulièrement difficile de ne pas la remarquer : elle était pleine de couleurs, jaune, bleue, verte et un peu rose au cœur aussi.
Elle était nuances et romance, tendresse et délicatesse, si belle, si impénétrable, comment aurait-elle pu passer inaperçue ?
Elle eut une enfance, oui, mais à laquelle il manquait les principaux attributs, sur le fil de sa conscience trop tôt provoquée : elle volait haut et semblait tellement responsable, loin du symbole de légèreté qu’elle était censée incarner.
Elle passait là, on l’apercevait parfois, mais on ne parvenait guère à l’effleurer : comme un secret intérieur dont on s’approche mais qui sait demeurer insaisissable…
Elle n’était pas bêcheuse, mais simplement généreuse. Elle ne voulait pas qu’on sache, ni même que l’on devine qu’elle avait souffert, pour ne pas imposer ses chagrins à ceux qui n’en étaient pas la cause. Pourtant, celui qui pour aimer ne cherche qu’une rose, celui qui ne s’attache qu’aux gains, ne vaut pas grand-chose ; mais c’était là sa dignité de petite oiselle…
« Oh mon D’ieu, entends ma prière si sincère et ne te débine pas face à l’appel de ma supplication, quand je t’implore avec émotion. Si seulement je disposais des mêmes ailes qu’une colombe, alors je m’évaderais pour aller m’établir ailleurs, à l’empire de la passion et du bonheur infini » chuchotait-elle avec pudeur, seule dans son nid, juste avant de rentrer en torpeur.
Au réveil, chaque matin, elle sortait de ce qui aurait pu être son linceul, elle abandonnait soudain sa paix, son apathie et aussitôt son cœur se mettait à battre 250 fois par minute, c’est dire tout ce qu’elle pouvait ressentir ; puis, si elle interagissait, c’est 1260 fois par minute qu’il la boxait, c’est dire tout ce qu’elle savait déduire, c’est pressentir son empathie, sans frein aucun.
Du bout de son bec fin, allongé mais si doux -qui, à l’usage d’une autre oiselle aurait pu être une arme- c’est le nectar de l’âme qu’elle caressait directement.
Comprenez bien qui elle était…
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seule Belle s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son goulot pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas folle ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
« Je le sais, je le sais bien » rétorqua-t-elle, « mais je fais ma part. »
L’humanité aurait peut-être tué toutes les hirondelles, elle n’aurait pas éteint la bonté de la petite aquarelle, aux couleurs du printemps.
Belle avait un corps gracile, si féminin et tout à la fois élégamment arrondi par endroits.
Son cerveau était au moins aussi important que ses entrailles. Elle avançait extrêmement rapidement, tant et si bien qu’en dépit de sa beauté, personne n’osait l’ériger en proie. Son audace et sa témérité, la notoriété de son coup de bec, droit et sec, faisaient renoncer à bataille tous ses prétendants à la prédation. Tous capitulaient avant de n’avoir même essayé.
Bien qu’aigles en cage elle eut pu capturer, l’oiselle du Paradis était humble comme une brebis, diligente comme une abeille, belle et fidèle comme une tourterelle. Elle s’efforçait d’être elle et personne ne la comprenait.
Jusqu’à ce qu’un jour… sur son trajet, elle rencontra Aquila. À l’apercevoir, l’aigle impérial plana un temps et cessa de battre de l’aile afin de l’appréhender, ébloui par sa nitescence royale.
Leurs différences d’initiations et d’éducation, de culture et d’allure, de façonnage et de langage, étaient évidentes et pourtant, quelque chose comme un souffle des cieux les firent se sentir immédiatement familiers et ils se lièrent.
L’aigle était rigueur, le colibri était faveur, assemblés, ils étaient harmonie…
Belle éprouvait, Aquila synthétisait. Fusionnés, ils voyaient les choses dans leur globalité. Leur bicéphalie les dotait d’une puissance extrême entre intelligence et sensibilité.
Aquila semblait inattaquable, inébranlable.
Invincible, il était le seul oiseau à ne pas craindre de transporter ses oisillons sur son dos. La flèche ne l’effrayait pas. Pourquoi ? Parce que lui aussi volait haut, plus haut que tous… si haut qu’il semblait parfois à Belle qu’il partait se reposer au pied du trône céleste.
Il était compliqué pour l’aigle de conserver ses acquis, si vif et actif qu’il était, Belle avançait bienfaisante et lui enseignait la modestie, comme vraie valeur de la vie, la source de tout : de la volonté d’étudier, du bon jugement des autres, de la bonne parole et du bon œil.
Aquila était élégant, audacieux, astucieux, vigoureux, subtil et agile, si attirant.
Il n’y avait guère que son cœur qui ne résonnait pas aussi vite que celui de Belle.
Aquila se protégeait, puni de sa grandeur, par la solitude de son esprit. « Oh mon D’ieu, je suis épuisé, las et fatigué de regarder sans cesse vers le ciel en quête de mon salut, si seulement je pouvais m’évader comme une hirondelle. »
Alors quand il connut Belle, il prit sa décision : celle de la passion.
« Ma colombe se loge dans les interstices des rochers, elle se protège dans les secrets des marches, montre-moi ton allure, fais-moi entendre ta douce voix, car tu as la voie responsable et l’apparence agréable. »
Belle un temps, lui résista, accrochée à sa si délicieuse liberté…
« Ouvre-moi ma colombe, -insista-t-il- ma bien-aimée, ma pureté, car je suis mouillé de la rosée et mes boucles frisent en pleine nuit. »
Elle lui ouvrit, elle se découvrit et en tomba infiniment amoureuse.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là…
Ce soir-là, Aquila découvrit que Mademoiselle était blessée au cœur : c’était troublant de voir au centre de toutes ses couleurs, un trou noir, une plaie béante, que l’aigle ne sut identifier. Les terreurs les plus humaines sont celles sur lesquelles on ne sait mettre un nom, sur lesquelles on ne sut mettre un non.
L’aigle disait : « Béni celui qui ne m’a pas fait colibri », Mademoiselle Colibri rétorquait : « Béni celui qui m’a fait selon sa volonté ».
Aquila l’admirait, alors pour qu’elle poursuive sans s’épuiser, il l’emmenait sur ses épaules, partout où elle voulait aller, il entretenait cette liberté qu’elle chérissait tant. Elle était montée plus haut qu’espérée, partie chercher une branche d’olivier égarée: sa sérénité. Il n’était plus du tout las, ni fatigué, Aquila avançait, fort et exalté.
Il ne faut jamais juger un rapace, par le bruit qu’il fait avant de se poser.
Belle n’avait jamais pensé un jour s’appuyer sur le dos d’un oiseau. L’exception confirme l’aigle, alors le colibri put prendre son envol. L’hirondelle jaune crut à l’ange des nuages.
Les places éminentes, comme l’oiseau à l’aile escarpée, seuls les aigles peuvent y parvenir.
L’amour, petit D’ieu malin qui volette, invisible, de-ci de-là, vous assomme et s’enfuit parfois comme les premières hirondelles printanières.
Seulement elle…
Elle était belle, belle de son humanité, de tant d’émois, de tout tenter, de ne jamais lâcher, tel un colibri qui veut éteindre le feu avec des gouttes d’eau. Et l’aigle la comprenait, l’adorait, alors à son corps défendant, même lorsqu’elle volait à contre-courant, jamais, jamais il ne l’abandonnerait… Et Belle l’aimerait, infiniment…
Par amour…
Charlotte Tykoczinsky (Ticot)
Sources :
Tehilim 55,2 / « Poésie » Pierre Rabhi / « Chiour sur l’amour » Rav Sitruk /
« De l’amour » Stendhal / Isaïe 38,14 / Chir Hachirim 2,14 / Chir Hachirim 5,2 / Modé Ani / Isaïe 40,31 / « Prophéties » de Yekheskiel / Rambam…
Magnifique