L’étoile dont tu as hérité…

A l’heure où la notion de patrimoine individuel et personnel est largement mise en difficulté et où les droits attachés à ce dernier sont, de fait, assez précaires, je me vante d’avoir été quelque peu visionnaire, en choisissant de devenir notaire.

Pour ce qui subsiste de leur chair, Aubry et Rau, maîtres de la théorie de l’unicité du patrimoine, doivent se retourner dans leur tombeau et Jean Bodin, de colère et de chagrin, doit être pivoine.   « Il n’est de richesse que d’hommes… » Disait-il?… La pensée civile n’est plus tout à fait un axiome.

Si possession rime avec taxation, si propriété privée est mal menée, voire mal aimée, si elle déprime et opprime au lieu d’être fierté et protection, bref si elle est dégoûtation au lieu d’être dégustation et si elle est synonyme d’évasion, que d’opportunité l’on serait fort tenté(s) de défendre et de rendre légitime en prime, alors que reste-t-il encore de la notion de transmission? D’ailleurs, dans tout ce remue-ménage,  n’a-t-on pas fini par oublier que l’essence d’un héritage, l’ambition d’une succession n’est autre que la tradition, en substance, le transfert de valeurs d’âme et de cœur, d’une philosophie religieuse et/ou vertueuse?

Cinq mille ans d’histoire et autant de mémoire(s), voilà comment le judaïsme et dans son prisme l’élitisme, qui n’y est pas tout à fait étranger, ont déterminé le choix de mon métier. Si aujourd’hui je suis en émoi, c’est bien parce que j’y crois. Oui, selon moi, l’héritage n’est pas seulement chapardage et le mot patrimoine ne traduit pas uniquement un passage à la douane, un vulgaire péage; non! Il est et doit être aussi un témoignage d’affection sans prétention du parent à l’enfant et davantage encore un hommage de l’enfant au parent.

L’étymologie du vocable est aisément identifiable et en dit long sur son esprit: le « patrimonium » n’est pas constitué d’autres éléments que de l’ensemble des acquêts en provenance du père disposé. (Entendez tout parent qui jouit d’une certaine autorité et D.ieu, c’est évident!) Il appartient à l’ascendant éclairé, à papa et à maman, d’enseigner à l’enfant que l’apprentissage d’un métier te rend bien plus puissant que d’attendre et espérer que papa ne se soit pas trop endetté. Attention, je ne préconise pas l’exhérédation, je valorise l’éducation, je réactualise le principe de l’aspiration, je t’immunise contre la dilapidation; en somme, il vaut mieux que tu ne t’émancipes avant que papa ne vienne à casser sa pipe.

Liberté, mais aussi créativité! Personne ne t’a interdit de rêver; au contraire, c’est à ton père de tout faire pour que tu aies des racines et des ailes. L’instruction c’est elle qui génèrera tes passions. Ton blé, tes billets, tes tunes, ta fortune tu peux tout jeter à la poubelle; l’aisance, l’abondance c’est une réjouissance, d’accord, le somptueux c’est dispendieux et précieux, passe encore! Mais celle qui vaut de l’or s’appelle expérience.

Au lieu de laisser disparaître ses acquis, sa vie, papa va te la transmettre, tu comprends? Parfois, c’est dur pour lui de te parler de ses émotions, mais tant pis, il y a plus important: ce qu’il va te donner, c’est son nom! C’est ça, voilà, c’est lui qui te rend immortel, c’est lui qui te rapproche de l’éternel! C’est pour lui qu’il y a à peine quelques années, nos parents, nos grands-parents ou arrières grands-parents ont résisté, ont lutté pour qu’il puisse continuer d’exister. Et après tout cela, un testament, à sa simple lecture, panserait tes blessures? Pauvre con! « Un oiseau dans la main vaut mieux que deux sur le buisson. » En Yiddish, on dit que ce n’est pas ce qui est beau qui nous rend riche, c’est ce qui est riche qui nous rend beau.

L’héritage, vois-tu, c’est mieux qu’un voyage. Alors toi, qui donnes, papa, n’oublie pas de te souvenir de la traversée et de la conter; et toi qui reçois, n’oublie pas de ne jamais oublier l’étoile dont tu as hérité.

 

 

2 réflexions au sujet de « L’étoile dont tu as hérité… »

  1. C Fleury

    Toujours aussi beau ce que tu écris petite Charlotte. Pour ma part je suis catholique. Mais ma mère n’est plus et la seule chose qu’elle m’a laissé en héritage c’est le souvenir de ces moments de tristesse ou elle chantait « la petite juive  » écrit par Fanon, chanté par Francesca Soleville. Elle m’a fait hériter en quelque sorte de cette étoile, et de la promesse de ne jamais laisser que l’on s’en prenne aux petites juives.

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